Interview croisée mère / fille, alumni du MS EEDD parcours IGE

Élisabeth Lefranc, est la première étudiante à avoir été inscrite à l’ISIGE Mines Paris-PSL. Plus de 30 ans plus tard, sa fille, Madeleine marche sur ses pas, et vient d’être, à son tour, diplômée.

En 1992, naissait l’ISIGE – l’Institut de Mines Paris dédié à l’Environnement et à la transition écologique – proposant le tout premier Mastère Spécialisé en Environnement en France en collaboration avec AgroParisTech et l’École des Ponts ParisTech. Pionnière dans le domaine de la formation sur les thématiques liées à l’environnement et à la transition écologique, l’offre de formation de l’ISIGE s’est depuis élargie, adaptée et a gagné en notoriété.

1. Pourquoi avoir choisi de suivre la formation proposée par l’ISIGE ? Qu’attendiez-vous du MS EEDD parcours IGE à l’époque ?

Élisabeth :  Après deux entretiens avec Philippe Jamet et Pierre-Noël Giraud en novembre 1991, j’ai appris en décembre que j’étais admise pour cette première année du mastère IGE. J’ai choisi cette formation par idéalisme, pour son positionnement très novateur, parce que j’aime être à la naissance des sujets et parce que cela répondait à un impératif élevé de sens. Je souhaitais me qualifier pour influer sur des changements de pratiques industrielles à l’intérieur de l’entreprise. Séduite par la multidisciplinarité proposée à tous les niveaux, j’attendais du programme d’enseignement modulaire une ouverture sur les sujets environnementaux, dans un spectre large.

2. Qu’est-ce que cette formation vous a apporté ? Quelles portes vous a ouvertes le MS EEDD parcours IGE ?

Élisabeth :  J’ai découvert le monde incroyable de la géologie et de l’hydrogéologie, le temps long, les cascades et les lacs souterrains ! Plus sérieusement, c’est l’année d’étude que j’ai préférée, j’allais en cours le matin pleine d’allant : très stimulée par l’approche pluridisciplinaire, le croisement des regards, les voyages sur le terrain. La recherche d’un partenaire pour le MS m’a permis de trouver mon premier employeur, société d’ingénieur conseil en environnement, Dames & More, devenu URS  (aujourd’hui intégrée à AECOM).

Passionnée par la diversité des sujets et thématiques, j’ai sillonné la France pour réaliser des audits environnementaux d’usines – raffineries, industries pharmaceutiques, aéronautique, sous-traitants de l’automobile ou recycleurs de batterie pour en citer certains. Ma plus grande joie à l’époque, était de faire découvrir son site à un directeur d’usine sous le prisme des enjeux environnementaux. Dans les années 1990, il y avait de quoi découvrir. Et aussi, faire prendre conscience à toutes les parties prenantes des enjeux de la pollution des sols et eaux souterraines sur la valeur d’un business et de sa conformité aux réglementations naissantes. Puis, je suis rentrée dans l’industrie aux affaires réglementaires, convaincue que les lois, notamment européennes, sont des formidables leviers d’action.

Travailler sur le règlement européen REACH, instruire la connaissance sur l’éco-toxicité des substances chimiques, contribue à mettre de la conscience sur l’effet d’un produit fini, une fois qu’il est dispersé dans l’environnement, cela a permis de donner du sens à mes journées professionnelles. Aujourd’hui, je travaille sur les sujets traitant à l’accès à la biodiversité et au partage équitable des bénéfices liés à l’utilisation durable de celle-ci.

J’ai le plus souvent été sur des créations de poste, dans le conseil comme en entreprise; je pense que cela correspond bien au tempérament des anciens qui se positionnent souvent à la croisée de ce qui existe, de ce qui est en devenir et de ce qui sera construit demain.

J’ai personnellement trouvé du sens à me positionner dans le monde de l’entreprise, au début dans le conseil pendant neuf ans, puis dans l’industrie, dans l’idée de changer les choses en profondeur, à l’aide des réglementations et avec une cinétique qui s’inscrit dans le temps.

Autre apport, la lecture de La quatrième feuille, ouvrage de Philippe Jamet, que je vous recommande !

3. Combien étiez-vous d’étudiants, et d’où veniez-vous ?

Élisabeth :  En 1992/93, nous étions 25 étudiants, basés à Fontainebleau, multi-horizons : scientifiques (agronomes, chimistes, ingénieurs généralistes, géologues), 4 ou 5 juristes ou Sciences Po, certains fraîchement diplômés, dont je faisais partie, d’autres interrompant leur parcours professionnel. Nous étions une promotion passionnée, idéaliste, qui ne savait pas précisément vers quels emplois elle allait. Notre dénominateur commun : l’enthousiasme pour contribuer à un environnement meilleur, avec la joie de défricher. Nous formions une promotion soudée par le sens trouvé par chacun dans cette année d’études.

4. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, votre fille Madeleine marche sur vos pas et vient de soutenir sa thèse professionnelle. Quelles évolutions de la formation percevez-vous ?

Élisabeth : Trente ans plus tard, tout a changé : l’époque, les entreprises, les réglementations, la demande de la société. La formation a aussi changé, elle s’est indéniablement professionnalisée et elle s’est déployée, avec la proposition d’autres mastères complémentaires, l’ancrage international. Les sujets ont évolué, mais je perçois surtout un fil rouge continu sur l’approche pluridisciplinaire, la richesse du croisement des regards, le besoin de sens nourri par cette année d’études riche qui ouvre le regard et agrandit la perspective. C’est une année dont chacun ressort, me semble-t-il, différent, replacé et énergisé.

5. Avez-vous la même vision du monde ? Quelles différences faites-vous entre votre génération et celle de votre fille ?

Élisabeth :  J’ai une vision du monde idéaliste, je suis mère de quatre enfants, et je suis convaincue que chacun peut influencer à son échelle. Dans ma génération, j’étais un ovni. Mon père était étonné de l’existence même de mon premier employeur.

A l’époque, le monde ne s’intéressait pas à la qualité des eaux, aux déchets, les réglementations étaient très limitées ou naissantes.

Il y avait aussi une croyance générationnelle que l’accès à « l’environnement » était à portée de main, gratuit, sans impact.

Je crois beaucoup à la puissance de l’éducation pour aider aux prises de conscience, je l’ai vu dans les discours et actions des écoles de mes enfants. Une différence majeure entre ma génération et celle de mes enfants est clairement la prise de conscience des impacts. Cela conduit certains au pessimisme, mais je ne suis pas de ceux-là, car j’ai vu de réels changements dans l’industrie depuis 30 ans. Je constate que l’orientation du projecteur a pris trop de temps, mais je crois profondément à la créativité de l’intelligence humaine, lorsqu’elle est orientée vers le bon objectif.

Madeleine : J’ai sûrement été marquée par la vision de ma mère, même si je ne pense pas avoir non plus une approche idéaliste. Je lui dois certainement une sensibilisation précoce aux enjeux environnementaux. Je pense avoir une vision du monde pragmatique : nous avons une grande partie des solutions, il reste maintenant à les appliquer ! Je pense que si l’éducation est clé, mais ce sont tous les imaginaires autour de nos modes de vie qu’il faut réinventer, pour aller vers une sobriété heureuse, et c’est là le plus gros défi auquel nous faisons face.

6. Comment produire sans détruire ? Quelles solutions émergeaient à l’époque ? Quelles sont-elles aujourd’hui ?

Élisabeth :  En augmentant la connaissance, en étant courageux, et en prenant des décisions agiles.

Il y a des actions simples et des actions d’envergure. Je vous rapporte une anecdote : un directeur d’usine dans les années 1996 avait ‘subi’ d’un potentiel acheteur un audit environnemental dans un premier poste. A l’occasion d’un changement d’usine, il avait alors choisi de réaliser un audit à sa prise de poste pour un état des lieux et de bâtir un plan d’action. A sa propre initiative, sans directive de sa maison mère, c’était à l’époque très novateur. Dans le secteur du traitement des métaux pour l’aéronautique, il y avait notamment alors des marges de progrès très importantes sur les recyclages et traitement des eaux usées.

REACH est un très bon exemple d’action d’envergure. Ce règlement européen a obligé toute l’industrie européenne (et par capillarité au-delà de l’Europe) à instruire la connaissance de l’écotoxicité des substances chimiques. C’était, avant ce règlement européen, un domaine totalement méconnu. En dix ans, ce champ inexploré a été instruit de façon à éclairer les décisions, tant industrielles que des autorités, dans l’utilisation à long terme des substances, dont certaines sont maintenant interdites ou ciblées uniquement sur des utilisations très spécifiques.

Madeleine : Il faut sûrement produire moins et mieux. Nous avons un appétit insatiable pour la nouveauté, et le secteur numérique en est un bon exemple.

Sans que cela soit vu comme un retour en arrière, nous devons arriver collectivement à faire le tri entre le superflu et l’essentiel, inventer des modes de vie compatibles avec le respect des limites planétaires.

Les différents scénarios prospectifs que nous avons étudiés dans le cadre du mastère, comme ceux de RTE et de l’ADEME, sont de très bons outils de réflexion sur ce sujet. Les modèles de société à mettre en place et les solutions qui en découlent impliquent des actions à tous les niveaux, individuel, collectif, de la part des entreprises, de l’État, et des individus.

Pour les actions d’envergure, cela ne peut se faire sans le politique. Les États, et notamment, l’Union européenne ont des leviers très puissants qu’ils doivent actionner, mais cela demande de prendre des décisions courageuses et parfois impopulaires aujourd’hui, pour mieux préserver la capacité des générations futures à habiter sur Terre.

7. A votre avis, quels défis devra-t-on relever dans 30 ans ?

Madeleine : Un sujet crucial et qui va le devenir de plus en plus au fur et à mesure que la planète se réchauffe, c’est celui de l’adaptation. Certains changements sont inéluctables, notre environnement naturel va se transformer et nous devons nous y préparer dès aujourd’hui pour que les changements auxquels nous allons être confrontés soient moins brutaux.

Nos parents et nous-même avons grandi dans un monde aux conditions climatiques et économiques stables et prévisibles. Mes enfants, si j’en ai, grandiront dans un monde différent, et nous sommes tous collectivement responsables, toutes les générations et pas seulement la mienne, parfois affublée du terme de “génération climat”, de construire le monde dans lequel ils vivront. Je ne crois pas au clivage des générations, je suis convaincue que les changements et les défis seront mieux appréhendés collectivement. Impliquer toutes les générations dans la transition est une condition indispensable à sa réussite.