Replay / Table ronde “Biodiversité et Entreprises”

L’ISIGE a organisé à Paris, dans les locaux de Mines Paris-PSL, une table ronde sur les enjeux de la prise en compte de la biodiversité au sein des entreprises. Pour comprendre ce défi, Emmanuel Garbolino et Anne-Claire Asselin ont eu le plaisir d’accueillir Lina Dechamp de l’entreprises MICHELIN, Agnès Hallosserie de l’IDDRI et David Magnier de la CDC Biodiversité.

Au cours de cette soirée ils ont pu aborder trois points majeurs relatifs aux liens entre biodiversité et entreprises.

Quels effets la COP16 (et celles précédentes) a-t-elle eu sur les entreprises ?

Les COP, y compris la COP16, ont un impact croissant sur les entreprises en matière de biodiversité, bien que ces dernières ne soient pas des décideurs directs des politiques internationales, qui restent entre les mains des États. Les entreprises jouent néanmoins un rôle clé en tant que parties prenantes et moteurs d’initiatives. La COP15, en 2022, a marqué un tournant avec l’introduction de la cible 15, demandant aux entreprises d’évaluer leurs impacts et leur dépendance à la biodiversité via une approche de double matérialité, et de faire preuve de transparence dans leurs rapports environnementaux. Cette cible a influencé des réglementations telles que la directive européenne CSRD appliquée en France depuis janvier 2024.

À la COP16, des initiatives comme l’essor des solutions technologiques pour la nature (“nature tech”) et les crédits biodiversité ont émergé, renforçant la nécessité de transformer les modèles économiques et l’émergence de nouveaux instruments financiers. Ces mécanismes permettent aux entreprises de contribuer à la restauration des écosystèmes tout en structurant leur engagement.

Ben que la COP16 n’ait pas introduit de nouvelles obligations immédiates pour les entreprises, les entreprises restent attentives aux propositions et décisions prises par les états membres, ce qui aide à maintenir une dynamique ambitieuse et à anticiper des réglementations futures tout en favorisant des synergies entre acteurs publics et privés.

En quoi la biodiversité constitue-t-elle un enjeu pour les entreprises ?

La biodiversité représente un enjeu crucial pour les entreprises, notamment pour celles comme MICHELIN, qui dépendent de ressources naturelles spécifiques. Pour agir efficacement sur la biodiversité, les entreprises doivent comprendre leurs dépendances, risques et impacts tout au long de leur chaîne de valeur, en tenant compte des spécificités locales.

MICHELIN, par exemple, utilise le caoutchouc naturel, qui constitue 21% des matériaux nécessaires à la fabrication de ses pneus. Cette ressource provient des plantations d’hévéas situées dans les forêts tropicales, ce qui implique une forte dépendance à l’égard des écosystèmes forestiers et des services qu’ils fournissent, notamment la régulation du cycle de l’eau.

La déforestation est le principal risque auquel MICHELIN fait face, car elle menace non seulement la production de caoutchouc naturel mais aussi l’équilibre écologique nécessaire à son développement.

En réponse à ces enjeux, MICHELIN a mis en place une stratégie visant à garantir la traçabilité de son approvisionnement en caoutchouc naturel et à réduire l’utilisation de pesticides dans ses plantations. Ces actions nécessitent une traçabilité accrue et des audits rigoureux, notamment via des outils de cartographie et des données satellitaires, pour garantir que les matières premières ne proviennent pas de zones déforestées.

Par ailleurs, les entreprises doivent faire face à une réglementation croissante en matière de biodiversité, portée par des cadres internationaux et des lois nationales. Ces normes visent à inciter les acteurs économiques à évaluer leurs impacts et dépendances vis-à-vis de la biodiversité, à se conformer à des standards de durabilité, et à améliorer leur transparence. Cependant, la rapidité et la complexité de ces évolutions posent des défis importants, nécessitant des investissements significatifs et une adaptation constante. Cela inclut non seulement la gestion des risques physiques et réglementaires, mais aussi la réponse aux attentes sociétales croissantes.

Les crédits/certificats biodiversité : une vraie opportunité pour la nature et pour les entreprises ?

Les crédits et certificats biodiversité suscitent un intérêt croissant comme outils de préservation de la nature, mais leur mise en œuvre soulève quelques questionnements. Ces instruments visent à mesurer et certifier des gains de biodiversité, qu’ils résultent de projets de restauration écologique ou de pratiques durables comme l’agroécologie. La distinction principale entre crédits et certificats repose sur leur cadre d’utilisation : les crédits s’inscrivent souvent dans des régulations existantes, comme la compensation écologique, tandis que les certificats s’appliquent davantage à des initiatives volontaires sans établir de stricte équivalence entre impacts et actions.

Historiquement, les crédits biodiversité se sont développés dans des cadres réglementaires, par exemple en France avec la séquence « éviter, réduire, compenser ». Cependant, leur transposition à des marchés volontaires est encore en phase exploratoire, notamment pour éviter les dérives observées dans les marchés de crédits carbone. Une gouvernance solide, des règles claires et des métriques robustes sont indispensables pour garantir leur efficacité et éviter les usages opportunistes.

Certaines entreprises, comme Michelin, adoptent une approche prudente. Elles privilégient des actions concrètes sur le terrain, comme la conservation et la restauration de leurs sites d’exploitation, en attendant que les mécanismes de crédits ou certificats se stabilisent et gagnent en crédibilité. Par ailleurs, les entreprises investissent aussi dans le développement de pratiques durables dans les chaînes de valeur et dans des innovations qui réduisent les impacts négatifs sur la biodiversité.

Enfin, bien que ces outils soient prometteurs, ils ne suffiront pas à transformer globalement la situation. Leur portée est locale ou régionale, et leur succès dépend de l’engagement des parties prenantes, d’une réglementation pragmatique et d’une harmonisation entre les objectifs stratégiques nationaux et les initiatives locales.

En parallèle à ces considérations, les échanges ont souligné l’importance de ne pas se limiter au reporting et à la conformité réglementaire, mais de maintenir un engagement actif dans la protection de la biodiversité. Il convient donc de continuer à agir concrètement, tout en restant vigilants sur l’évolution des mécanismes de crédits et certificats biodiversité.