Interview Gilles Delteil
Trente ans après… le retour d’un pionnier de la transition.
En 1995, Gilles Delteil choisit de suivre le MS IGE de l’ISIGE – Mines Paris – PSL, à une époque où les enjeux de développement durable commençaient tout juste à s’imposer dans les stratégies d’entreprise. Trois décennies plus tard, il revient à l’ISIGE pour suivre le MS RSEDD, fort d’un parcours de dirigeant engagé dans la transformation environnementale des organisations, que ce soit dans l’industrie ou le conseil. À l’occasion de son retour sur les bancs de l’école, il revient sur ce que cette formation a changé dans sa vie professionnelle, les évolutions qu’il a observées dans le monde de la transition, et les conseils qu’il donnerait à celles et ceux qui souhaitent aujourd’hui s’engager à leur tour.
Tu as suivi le MS IGE il y a 30 ans : qu’est-ce qui t’avait motivé à franchir le pas à l’époque ?
En 1995 je terminais un contrat de 5 ans comme officier dans la Marine Nationale. J’étais en charge des sujets « Environnement et Sécurité » à l’état-major, avec notamment quelques projets complexes comme la décision de suppression des rejets de déchets des navires dans les océans ou la résolution des contraintes techniques pour la substitution des CFC dans les systèmes d’extinction automatique des incendies des sous-marins en application du protocole de Kyoto.
J’avais envie de me spécialiser en environnement pour mon retour dans le civil et l’ISIGE, dont c’était la 3ème promotion seulement, me semblait la formation parfaite pour me doter de toutes les bonnes bases scientifiques sur le sujet.
Quels souvenirs gardes-tu de ton passage à l’ISIGE ? Une rencontre, un projet, un déclic marquant ?
J’ai de nombreux très bons souvenirs du trio des créateurs de l’ISIGE (Philippe, Frédérique et Pascal), avec de fortes personnalités très complémentaires, une vraie passion de start-upper et une exigence de qualité des intervenants exceptionnelle pour l’époque.
A 28 ans j’étais déjà un des « seniors » de la promo qui avait déjà un peu de vécu professionnel et je reconnais que j’étais probablement un peu indocile avec eux. Mais j’ai un excellent souvenir de cette année passée à Fontainebleau ainsi que de la promotion où j’ai conservé des amis 30 ans après, heureusement croisés, plus ou moins régulièrement, au décours de nos carrières et missions respectives.
Sur le plan académique j’ai retenu un impressionnant « business game » sur la gestion d’un site pollué aux POC, dont je me suis inspiré longtemps, des orateurs magnifiques, en classe ou sur le terrain comme André Pochon (l’agriculteur théorisant les prairies de trèfle), Maurice Jorda (le quaternariste au look d’Indiana Jones), Claude Bourguignon (l’expert des sols agricoles et ses anecdotes très colorées) et d’autres encore.
J’ai également le souvenir bien stressant de Patrick Lagadec, parti en urgence comme expert sur le lieu d’une nouvelle crise mondiale, me demandant le matin même d’animer le cours du jour à sa place sur la gestion de crise, au prétexte de mon expérience dans l’aéronautique navale.
Comment cette formation a-t-elle influencé ta trajectoire professionnelle, notamment dans tes engagements environnementaux ?
L’ISIGE m’a donné un cadre culturel très robuste et la base documentaire qu’il me fallait pour trouver rapidement un projet professionnel dans le civil, d’abord dans le domaine des sols pollués, des audits environnementaux et des systèmes de management environnementaux, puis plus largement pour animer une stratégie « Environnement et Sécurité » dans une grande entreprise industrielle.
Outre la solidité des contenus scientifiques et méthodologiques (Je crois avoir éliminé les derniers vestiges de mes cours seulement il y a 3 ans lors d’un tout récent déménagement, tant je les trouvais consistants et précieux), un des partis pris forts de l’ISIGE était d’initier ses étudiants à acquérir et à conserver la bonne prise de hauteur vis-à-vis des passions suscitées par toute controverse environnementale.
Cette posture pragmatique et attentive aux enjeux de chacun des acteurs, acquise alors, a été déterminante tout au long de ma carrière, aussi bien sur des problématiques très locales de nuisances de voisinage ou de pollution accidentelle, que de négociations dans les plus grandes instances nationales sur les risques industriels.
Quels grands changements as-tu observés dans le monde de la transition écologique entre 1995 et 2025 ?
Il y 30 ou même 20 ans ce qui était passionnant c’est que toute nouvelle question ou problème était une opportunité d’exploration et de recherches, de réflexion et de créativité pour trouver des solutions, puis enfin de négociations sur des compromis et des délais acceptables aussi bien avec les dirigeants de l’entreprise qu’avec l’administration ou les riverains.
La plupart des outils et méthodes étaient à inventer et le cadre réglementaire et normatif étaient en construction. Nous avions tous le sentiment d’y contribuer personnellement.
Être un « borgne au milieu des aveugles » était déjà un avantage immense pour prétendre améliorer avec sincérité et constance l’impact global de l’activité économique sur l’environnement tout en offrant une carrière épanouissante et utile à la société.
Au cours des 20 dernières années le droit s’est consolidé et complexifié, il a fallu remplacer les généralistes ayant une vue d’ensemble par des spécialistes toujours plus pointus (ex : un dossier ICPE était rédigé par un seul consultant là où aujourd’hui les différentes parties du dossier peuvent mobiliser 4 ou 5 experts distincts).
Sur le plan moral également, j’ai le sentiment que la prise de conscience collective des enjeux et la démocratisation de la « cause » environnementale commune a renforcé les passions, les engagements très militants, la dureté des conflits entre parties prenantes et parfois même les compétitions sur le niveau de pureté des engagements entre acteurs. La hauteur de vue et la prise de recul me semblent avoir perdu du terrain au nom de l’urgence perçue et de l’enjeu moral.
Et cette exigence de pureté des intentions et cette lutte contre le green washing, ont conduit à renforcer le besoin de toujours plus de preuves et de normalisation des actions. Le corolaire étant que nombre d’acteurs formés et convaincus de l’environnement et de la RSE doivent aujourd’hui être surtout des rédacteurs de rapports ou d’audit de conformité réglementaire ou normative, ce qui n’est pas toujours épanouissant.
Enfin, l’élargissement de la définition de la RSE a permis de dézoomer pour englober utilement l’ensemble des objectifs sociétaux communs, ne se restreignant plus seulement aux seuls enjeux environnementaux.
De fait j’ai également basculé pour ma part depuis plusieurs années sur ce terrain et les enjeux sociétaux et sociaux occupent désormais l’essentiel de mes missions au sein du comité RSE de mon groupe.
Que dirais-tu à un(e) professionnel(le) qui hésite aujourd’hui à suivre un MS comme ceux proposés par l’ISIGE ?
Il y a quelques mois, et après plusieurs années loin des thématiques purement environnementales j’ai éprouvé le besoin d’une remise à niveau, d’un « refresh » sur tout ce qui fait la vision globale du pilotage de la RSE en 2025.
J’ai alors étudié l’offre de formation pour mon niveau d’attente actuel, en espérant trouver une approche nouvelle et complémentaire à mon parcours professionnel et académique initial. Et j’ai constaté que l’ISIGE restait la plus sérieuse et la plus sincère des formations dans ses ambitions et son contenu.
J’ai bien sûr conscience que l’offre est très large, et que nombre de parcours de ce type sont très sérieux et complets, en particulier pour la formation initiale.
Quel que soit le parcours choisi il faut être exigeant sur la robustesse scientifique du programme. On ne peut se contenter de superficialité sur ces sujets. Mais ce qui me parait cependant le plus important reste la sincérité de la démarche de l’apprenant lui-même sur la cause qu’il sert, ainsi que sa capacité, à accepter comme un défi, la complexité des situations et des controverses, et une certaine discipline pour rester au-dessus des passions, au bénéfice d’une réelle stratégie d’impact personnel, au long cours de sa vie professionnelle, sur la RSE et plus singulièrement sur la planète.