Les élèves ingénieurs de l’École des Mines de Paris face aux enjeux écologiques

Jeunes ingénieurs des Mines face aux urgences climatiques, de la métabolisation à la mobilisation

Tel est l’objet de l’étude présentée en comité pédagogique le 22 juin dernier par Cécile Schwartz, ingénieure civile des Mines de Paris et coordinatrice pédagogique du MS IGE au sein de l’ISIGE Mines Paris-PSL. Lors de ce comité pédagogique, Cécile Schwartz a présenté les premiers éléments d’une analyse qui s’inscrit dans un projet d’études plus large, centré sur les choix et engagements des élèves et jeunes diplomé.es de Mines Paris face aux urgences environnementales.

Cette première analyse repose sur les 400 réponses d’élèves et jeunes diplomé.es P12 à P22 au questionnaire administré en ligne du 14 novembre au 7 décembre 2022 dans le cadre de l’UE14. Elle s’appuie également sur le contenu du discours prononcé le 1er octobre 2022 à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes, ainsi que sur une quinzaine d’entretiens menés auprès de jeunes diplômés et élèves de l’École.

A travers l’exemple de l’École des Mines de Paris, cette étude propose une analyse des processus individuels et collectifs conduisant les jeunes ingénieurs à s’engager de manière plus en plus importante dans des trajectoires professionnelles en lien avec les urgences environnementales, ainsi qu’une identification d’éléments facilitant ces processus au sein de l’École.

un cheminement personnel profond

Les jeunes ingénieurs sont de plus en plus nombreux à prendre position pour les causes environnementales. Ces engagements font suite à un cheminement personnel profond : la compréhension scientifique des dynamiques de destruction des équilibres biophysiques planétaires induit une modification de leur rapport au monde, et les conduit à s’affranchir des représentations du progrès technologique et de réussite personnelle dont ils héritent. Pour pouvoir agir avec efficacité en conformité avec leurs engagements, les jeunes ingénieurs doivent composer avec ces nouvelles terrifiantes, selon les mots de Bruno Latour, et affronter leur sphère personnelle et la complexité du système économique et ses résistances.

A partir d’entretiens réalisés entre les prises de paroles d’octobre 2022 et octobre 2023 faites à l’occasion des cérémonies de remise des diplômes, cette étude se propose de montrer ce cheminement individuel mais aussi collectif dans le cas des jeunes ingénieurs de l’École des Mines de Paris. Elle décrit les processus de métabolisation individuelle et collective de leurs émotions, et de mobilisation dans le champ professionnel de la transition écologique. Elle montre également comment l’ancrage de l’École dans le monde industriel, son lien à la matière ainsi que la proximité des élèves entre eux mais aussi avec le corps enseignant et les chercheurs, facilitent ces processus, avec, en l’espace d’une année, une quasi dé-marginalisation de ce type d’engagement.

L’étude se propose d’explorer plusieurs thèmes d’études

Face aux « nouvelles terrifiantes » (selon le mot de Bruno Latour) des urgences environnementales et de leurs impacts destructeurs pour la planète, les jeunes diplômés de grandes écoles multiplient les appels à des changements profonds de société. Avec pour terrain l’École des Mines de Paris, cette étude éclaire les processus individuels et collectifs de prise de conscience de ces enjeux et de mobilisation vers l’action. Comment ces jeunes ingénieurs composent-ils avec leurs émotions? Comment se préparent-ils à agir et à affronter, de l’intérieur ou de l’extérieur, la complexité et l’inertie du système économique ? Quels sont les éléments de l’écosystème académique qui peuvent faciliter ces processus de compréhension et de mobilisation ?

  • Les processus d’appropriation individuels et collectifs par cette génération des enjeux et des émotions liés aux urgences environnementales.
  • L’évolution des choix professionnels des jeunes ingénieurs en fonction de ces enjeux, leur vision de la responsabilité et du rôle des ingénieurs dans les réponses à apporter à ces défis.
  • Les spécificités liées à l’histoire et à la pédagogie de l’École des Mines dans ces processus de prise de conscience et d’engagement individuel et collectif.

Les premières pistes

Si les répondants expriment en grande majorité tristesse face aux enjeux environnementaux, dans une moindre mesure anxiété, peur ou encore colère, ils sont une large majorité à faire part de leur motivation à agir. Plus de la moitié des répondants indiquent avoir ressenti un sentiment de dissonance entre leurs convictions personnelles et ce qui est attendu dans le métier d’ingénieur. La prise de conscience de la complexité systémique de ces enjeux renforce chez les élèves ingénieurs la réflexivité sur la responsabilité et le rôle de l’ingénieur, ainsi que les questionnements sur les choix de trajectoires professionnelles.

Les jeunes ingénieurs interrogés déclarent préférer utiliser leurs compétences pour agir sur le monde industriel et économique de l’intérieur, de manière structurelle et rapide. Parmi les jeunes diplomé.es, nombreux ont le sentiment d’avoir déjà choisi une voie professionnelle en cohérence avec les enjeux de décarbonation. De manière très majoritaire, les répondants estiment que l’École des Mines les préparent à apporter des éléments de réponse à ces enjeux dans un cadre professionnel.

Conscients de la chance qu’ils ont de recevoir l’enseignement proposé par l’École des Mines, plusieurs expriment avoir la responsabilité de contribuer à changer l’industrie de l’intérieur, plutôt que d’opter pour des trajectoires professionnelles plus radicales, à « l’extérieur », tout en refusant d’intégrer les grandes entreprises liées aux énergies fossiles.

En ce sens, le discours du 1er octobre 2022, qui a réuni 20 jeunes diplomé.es sur scène, non seulement visait à sensibiliser leurs proches à ces enjeux, mais il a permis également de démarginaliser des émotions et des engagements qui pouvaient être vécus il y a encore peu comme porteurs de déclassement. Les trajectoires professionnelles engagées au service de la décarbonation du système économique, et particulièrement de l’industrie, semblent en passe dans les promotions en cours, de devenir des trajectoires classiques.